Pour vous aider à mieux connaitre et comprendre Symbelmynwe elfe noir des clans de l'empire de Tarse sis au delà des mers au sud du continent
Je ne me suis jamais senti bien de la suivre.
A l’observer de loin, au fil des jours je sentais le malaise grandir.
Durant ma vie sur les mers, il y avait eut de nombreux ports. Des bordées tirées dans des tavernes douteuses, où l’on se plaisait à coup de mauvais alcool et de filles de petites vertus à oublier cette autre maîtresse bien plus exigeante qu’est la mer. Je n’étais pas différent des autres et j’ai souvent trouvé ce que je cherchais dans les bras de ces femmes et dans l’oubli bienvenu de l’ivresse.
Arrivé sur Alidhan, par la force d’un destin qui me dépasse, je portais encore en moi la lourdeur de ce passé opaque comme une salle de bistrot. Au fil des mois, j’ai lavé mon corps et mon cœur de cette pesanteur.
Pourtant la vie de soldat, offre bien des occasions, les bordels sont les mêmes, les filles guère différentes et tout général ou commandant qui se respecte, veille bien à ce que sa troupe boive ce qu’il faut pour oublier sa peur. En cela je fus cette fois ci différent des autres. Peut être est ce pour cela au final que je ne fus jamais accepté comme l’un des leurs. Ma peau, au fil des combats, aurait pu s’oublier, masquée par mon armure, dans la bataille je n’aurais été que le bras qui garde à gauche ou à droite. Le compagnon qui en ramasse un autre, qui coure à cotés dans une charge, dans une retraite. Un autre de ces pauvres types condamnés à mourir. Pour toutes ces martiales raisons, ils auraient oubliés ma peau noire. Mais la vie d’un soldat n’est pas fait que de charges héroïques devant l’ennemi ou de retraites non moins héroïques devant ce dernier. Il y a toutes ces attentes, précédent ou suivant les combats. Où les survivants s’empresse de pleurer dans leur verre les morts de la veille ou bien ceux de demain. Tous ces temps où une femme nous rappelle à la vie pour quelques pièces d’or. Où il n’est de héros que dans les chambres miteuses et les salles enfumées. Il y eut bien des fois où l’envie me prit de me noyer sans fin dans le vin, dans le parfum trop fort d’une fille presque belle. J’avais alors juste envie de crier, ma vie au monde, de lui montrer que j’étais toujours là bien vivant, que ce n’était pas un bon jour pour mourir. Au lieu de cela, j’ai passé bien des heures à contempler les morts. Parfois, je pleurais comme un enfant, la peur me sciant les tripes, parfois le regard perdu je contemplais le bal incessant des charognards, les dents crispées à m’en casse les mâchoires, emplis d’une sourde colère. La guerre n’est pas la mer. Je ne voulais, je crois, juste pas l’oublier. Avoir en moi chaque image de massacre, l’avoir crue, ne pas enfouir sous des vagues brumeuses, la réalité du conflit.
J’ai tué bien des hommes et quelques femmes aussi. Je garde de chacun d’eux une image, un souvenir, une tombe dans ma mémoire. La guerre n’est pas la mer. Elle n’est pas ma maîtresse, elle ne me donne aucun plaisir, aucune satisfaction. Elle exige tout et ne me donne rien. Je me bats par devoir, pour ce qui me semble juste, je me bats pour que tout ceci un jour finisse. Ceux d’en face n’en font pas moins que moi. Leur souvenir me rappelle à mon « humanité ».
Ce n’est donc pas par lâcheté que j’ai quitté le troupeau. Ils ne comprenaient pas cette différence, ils en avaient peur sans doute. Peur de voir dans mes yeux l’insignifiance des haines et des fanfaronnades, peur de voir qu’à mes yeux parfois, le tué de mes mains valaient plus que leurs peaux de soudards avinés.
Et puis je l’ai vu...
« Ce peut il que je l’aime celle qui dans mon cœur essaime de noirs pétales de chrysanthèmes »
J’ai dans ma vie de guerrier, du affronter bien des dangers. Des ours monstrueux, des guerriers bardés d’acier de 7 pieds de haut, des mages déchaînant, flammes, tempêtes et glaces d’un froid absolu, archers bondissant, insaisissables, esquivant mes coups les plus précis, hommes vêtus de peaux de bêtes, rugissant de colère en précipitant vers moi leurs lourdes haches ou des griffes acérées…Je me bas sans peur, et si je viens à faillir, il est un honneur tout aussi grand de mourir en combattant que de tuer un pauvre diable. Voilà pourquoi je ne goutte guère les joutes, affrontement sans sens pour moi car dépourvu d’enjeu autre que la satisfaction de l’égo. Voilà pourquoi lorsque j’en ai la force, je prête volontiers mon bras à Zélandra. Un bastion à conquérir, pour le bien du cartel, si je le puis mon épée rejoint les leurs. Point d’embuscades déshonorantes, en forte compagnie, à guetter la faiblesse, sans autre courage, que celui d’ajouter de nouveaux morts à une liste bien trop longue. De tous ces combats qui me laissèrent brisé, humilié parfois de ma propre faiblesse, honoré d’une victoire audacieuse, aucun péril ne fut pourtant plus grand que cette elfe entrevue dans le chaos d’une taverne.
Je le reconnais sans peine. La peur a noué le peu de tripes qu’il me reste. Comment aurait il pu en être autrement ?
Je l’ai apprit plus tard, lorsqu’à mots couverts j’ai pris mes renseignements.
Chevalier d’Ethérius, guilde au combien, prestigieuse, connu pour son engagement envers Zélandra, son combat incessant pour la droiture, la sagesse, connu pour la force de leurs bras…Archère, parmi les plus douée, les plus anciennes aussi à arpenter ces terres, semant la mort dans les rangs de l’ennemi…Justicière, traquant criminels, hors la loi et assassins aux quatre coins du royaume. Je suis un assassin. A la mort de mon maître, j’ai suivi cette voie. L’enseignement en est long, fastidieux, la réussite augmente avec la pratique, mais demeure incertaine. Pourtant face à bien plus fort que moi c’est une arme de plus dont je joue à loisir. Bien mal encore pourtant et cela me valu quelques jours de prison. Fangélice n’est pas un lieu où l’on se plait à retourner sauf parmi la lie des criminels. D’un geste de sa main pourtant, elle ferait de moi, un forçat, sans regret et tout serait fini à jamais…Tanneuse, de grand talent, ses créations se vendent fort cher, reconnue dans son métier, elle aurait bien d’autres talents. La science des plantes, la pêche, la chasse, il n’y a que les mines où je ballade ma pioche où je ne risque pas de croiser cette Dame. Une Dame, la Dame pour moi, une de ces personnes qu’il convient de regarder de loin, pour ne point se brûler à l’éclat de son teint. Une de ces personnes qui font de moi un misérable, un pouilleux de creuseur de terre aux ongles noircis.
Deux mondes se côtoyant sans jamais se croiser.
J’aurais du oublier tout cela. La raison, la mienne, me le commandait. Je l’aurais sans doute fait. Sans ses yeux, sans ses cheveux, sans ce visage, sans ce corps qui éveilla mes reins, sans mon cœur que je peinais depuis à arrêter de battre. Ainsi donc est ce cela, ce dont ils me rebattaient les oreilles : l’amour. La fin des nuits calmes, la fin de la paix, la fin de la vie. Tout semblait, depuis cette soirée, ne commencer et ne finir qu’avec elle. Obsédante pensée unique me martyrisant sans possible fin sinon de la revoir. De voir encore le vert de ces cheveux capturer la lumière des cieux. Revoir, la volonté farouche de son regard, tenter en vain d’y masquer une mélancolique nostalgie propre à briser mon cœur à l’infini. Revoir ce visage, cette silhouette désirable, que je ne cessais depuis de chercher et de voir, fantôme joueur de ma propre folie. La voir enfin, pour faire cesser l’absence, le vide, la douleur physique d’une solitude devenue soudain insupportable.
Je l’ai revue bien sur. Faire autrement n’aurait point été pire que la mort...
La revoir fut plus facile que je l’aurais cru de prime abord.
Elle avait besoin de minerais, de beaucoup de minerais, de pierres précieuses.
J’avais besoin d’elle, de la sentir près de moi, de goûter son parfum sur mes lèvres, de la voir tout simplement.
Comme à son habitude, elle indiquait ses besoins sur le tableau des artisans, d’une écriture fine, nerveuse, déterminée.
Comme à mon habitude, je guettais l’apparition de son nom sur le tableau de ses besoins, trop heureux d’avoir ainsi l’opportunité de la contenter.
Elle fit appel à moi, mes tarifs revus à la baisse depuis notre première rencontre comme appât dérisoire, d’une chasse qui l’était tout autant.
Mon faux nom, sur le tableau près du sien, marque soudain ignoble de la somme de tous mes mensonges.
Elle me regardait de haut, on lisait dans ses yeux tout le dégoût que je lui inspirais. Un insecte eut plus de considération que le pauvre type assis à la table devant elle.
Ecoeurant manège, écoeurante acceptation, jetant ma fierté à la poubelle, pour un instant volé de pur mépris. Ecoeurant bonheur, écoeurante satisfaction à chacune de nos rencontres, le mal empirait.
Je m’enrichi quelque peu de ce fructueux commerce de la mine. Je laissais pour un temps la guerre de cotés, elle ne s’en porta pas plus mal et le tribu au cimetière continua d’être régulièrement versé.
De nos rencontres à l’auberge des tanneurs je garde un souvenir confus. Caché, au fonds de mes vêtements, je parvins à articuler deux trois phrases et à faire semblant de discuter le prix. En fait j’étais concentré sur elle. J’essayais d’écrire sur les rubans de ma mémoire chaque parcelle de son être. Dessiner en fait ce portrait mental seul à même je le pensais à tord de me guérir un temps de cette passion dévorante. Il n’en fut rien et j’en voulais toujours plus sans savoir de quelle façon y parvenir.
Le hasard fit bien les choses. Nouveau riche, grâce à ce commerce, je consacrais une partie de mes biens à un remède à même de masquer ma couleur de peau. Tout en moi rejetait cette idée au combien détestable. Me regardant dans la glace de métal poli de ma chambre à l’auberge, je ne pouvais soutenir le regard de cet autre moi-même soudain accusateur.
Pourtant jamais une dame de si belle condition, elfe de surcroît n’en viendrait à parler ne serait que quelques minutes avec un de ma race. Or il faudrait bien jour que nous parlions, que je dise le fond de mon cœur en des mots capables de combler ses attentes.
En avait elle ? Comment le saurais je sans paroles échangées, sans pouvoir lire dans ses yeux la compréhension de l’amour niché au fond des miens. Comment me guérir de ce mal, qui chaque heure passée loin d’elle, menaçait de submerger mon âme et dans un désir morbide me faire quitter ce monde dans l’espoir de l’y croiser sur les routes du prochain.
Haïssable entre tous, je trahi donc mon peuple, ma famille, ma race millénaire, pour l’amour d’une enfant des forêts.
Un mage m’y aida. Il me fournit contre une somme indécente, un masque.
Le masque de Sarg l’illusionniste ressemblait à ces masques qu’on porte une fois par ans lors des bals populaires de printemps à Mérulick.
Une face blanche, aux orbites de gemmes noires, un lacet de fil d’or pour maintenir l’objet sur le visage. Banal, sans saveur, sans odeur, si commun que je demandais à le tester avant de verser la moindre pièce d’or. Debout devant une grande glace, je mis le masque. Il ne se passa rien, je maugréais contre le mage, m’emportant contre la perte de temps, le traitant déjà de noms d’oiseaux. Lorsque soudain, je sentis les piqûres.
Le sang coule, à mesure que le masque se soude à mon visage. La douleur atroce d’une fusion contre nature. Puis tout s’arrête aussi soudainement que cela avait commencé.
Bill le mineur vient de mourir. Symbelmynwë disparaît sous la cendre blanchâtre de tous ses renoncements.
Le masque de Sarg fait de vous une autre personne. Il suit votre volonté et l’impose à votre corps, que vous changez dès lors à votre gré.
L’argent quitta mes mains, je sortis dans la rue, découvrant l’immense pouvoir de l’objet. Je n’étais plus personne, rien qu’un elfe de plus arpentant les rues de Phyléas. J’ôtais le capuchon devenu inutile de ma tête et je goûtais comme une renaissance à la caresse des rayons du soleil sur mon visage. Enfin.
Une heure plus tard, dans les forêts qui bordent la ville, tout était bien fini. Je courais à perdre haleine, fuyard désespéré poursuivi par le fantôme de lui-même. Je finis ma course au cœur de la forêt sombre. Là je pus crier et y perdre ma voix. J’arrachais le masque de mon visage révulsé.
Je passais plusieurs semaine au cœur de cette forêt
J’essayais en vain de l’oublier.
J’arpentais les lieux en tout sens, coureur des bois je renaissais peu à peu dans une confrontation muette avec la nature. Le grand air me faisait du bien, de même que le silence et l’absence de toute sollicitation autre que ma propre survie. Le masque au fond de ma besace, c’est aussi là que je rangeais mais récentes maladresses, les éloigner de moi semblant la meilleure chose à faire.
Elle ne méritait pas cela.
Si je devais un jour mériter cette femme, il me faudrait grandir pour la regarder dans les yeux sans ciller, en égal. Qu’aurait elle comme image de moi, si je n’étais que lâche, menteur et fourbe ?
C’est droit comme un I que je devais venir à elle. Sur, enfin de ma force, de mes qualités.
Seul au cœur des nuits glacées de l’hiver nordique, je réchauffais mon cœur à la flamme d’un espoir que je savais ne tenir qu’au fil de ma naïveté.
De retour à Phyléas, j’arpentais les rues, indifférent à l’animosité des regards qui se posaient sur moi. J’en retirais même une certaine fierté. Je me sentais neuf. La vie dans la nature m’avait dégoûté de la mine, j’avais peur sans doute de confronter à nouveau mon âme aux ténèbres des profondeurs. J’entrepris donc de mettre en pratique ce que j’avais appris de ma vie solitaire. Un peu de pêche, les peaux, les herbes que j’avais appris à reconnaître. Je ne ménageais pas mes efforts pour bien faire et apprendre de nouvelles choses chaque jour. Au fil des jours, son souvenir s’estompait, même si elle ne me quittait jamais vraiment, l’obsession des premier temps avait laissé place à un sentiment plus serein, plus fort aussi. A mesure que mon respect pour moi-même grandissait, il nourrissait par une alchimie étrange mon amour inconditionnel pour elle.
C’était une personne très occupée. Elle aimait se lever tardivement alors que le soleil déjà haut courrait vers le midi. Le soir la recueillait comme un membre de la famille avec chaleur et tendresse. Du lever au coucher, elle travaillait d’arrache pied, sans cesse, avec une énergie que je ne cessais de trouver admirable. Souvent par mont et par vaux, je profitais de ses absences pour lui faire porter quelques cadeaux symboliques. Des fleurs de lavande et de sureau, les dernières pierres encore en ma possession, mais aussi une partie du produit de mes chasses arrivait par porteur sur le devant de sa boutique. A son retour, j’observais de loin, son regard surpris, scrutant les alentours de toute part à la recherche de son curieux bienfaiteur. Je ne me montrais jamais. Ce n’était point le moment. Il viendrait bien assez tôt.
C’est la musique qui précipita l’instant.
En échouant sur Alidhan, je ne savais ni lire ni écrire. Pour ceux de ma race, les mots, les idées n’ont pas ce besoin de rester gravée dans la pierre, un parchemin, le bois ou sur du papier. Les mots, les idées doivent rester dans leur maison première : l’esprit. Et s’ils doivent malgré tout bouger, être transmis de l’un à l’autre, c’est toujours d’un esprit à un autre et jamais d’une main vers une autre. Les sages humains diront volontiers que l’écriture détermine le degré de civilisation d’un peuple, d’une culture. Pour nous, qui sommes là depuis bien plus longtemps qu’eux nous apprécions parfois le degré de civilisation d’un peuple, d’une culture à son absence de besoin du lu et de l’écrit. Cette absence créera un peuple pour qui la valeur d’échange entre les individus, de valorisation de l’expérience, composera le fondement de la culture. La personne composante d’un tout, la valeur de l’entraide et de la transmission, tout cela est bien souvent étranger aux humains. Alors qu’ils sont le ciment de la civilisation Lindar. Là où les humains ne voient souvent en nous, que des sauvages insousciantsn nous ne les considérons avec régularité, que comme des enfants cruels et égoïstes. Incapables de la patience nécessaire à la vraie compréhension du monde qui les abritent.
Il en va de même pour la musique. A Mérulick, la ville franche, où tout se passe selon les alidhaniens depuis le début de la guerre, j’ai vu des échoppes qui vendent des livres, des instruments de musique et même ce qu’ils nomment partitions : de la musique écrite. Tout cela est incompréhensible pour la plupart des gens de mon peuple.
Je suis encore aujourd’hui un sauvage insouciant, les mots que vous lisez en ce moment ne sont pas de ma plume. Mais de celle d’un de ces scribes qui se louent à l’heure, la page, qui se louent tout simplement. Je suis un sauvage insouciant. Je parle une douzaine de langues et dialectes. J’en comprends près du double. Je joue bien, selon les critères de mon peuple de six instruments et selon ceux des hommes d’une grosse dizaine. J’ai fait deux fois le tour de l’empire de Tarse en bateau. Je l’ai traversé deux fois du nord au sud et trois fois d’est en ouest. J’ai vu, appris, compris, bien des merveilles de ce monde mais pour l’homme, qu’il soit de Tarse ou d’Alidhan, je reste ce sauvage insouciant qui ne sait ni lire ni écrire plus de trois ou quatre mots sur un tableau d’affichage. Cette condescendance m’agrée et je ne fais rien pour les en détromper.
Je joue volontiers de la flûte, que j’ai taillée, sculptée, travaillée des heures durant avant d’avoir le son qui me convient. Je joue aussi de la guitare, que j’ai mis plus de temps à fabriquer, du fait de la rareté des bois qui la composent et de la difficulté à produire le son recherché. Je joue seul, sans la distraction que me donnerait la vanité d’avoir un public. Je joue pour le plaisir, pour le souvenir de ce monde désormais révolu, si loin, si totalement perdu pour moi. Je joue pour mêler ma voix à celle du monde. Il se dit en effet parmi les miens, qu’au commencement il y eut une musique et un chant. C’est ainsi que nous Lindar entendons manifester dès lors notre harmonie d’avec le monde. C’est ainsi que nous communions avec nos dieux. Même si le temps où je courrais parmi eux s’éloigne de plus en plus, je crois fermement à cet enseignement. Cette ferveur m’habite au moment où je joue et d’autant plus encore depuis que j’ai entendu Sa musique.
J’ignorais tout du violon, il ne fait pas partis des instruments communs dans l’empire. Au nord on le trouve parfois dans les orchestres des tavernes de ports, importés par les marins en goguettes. Mais sur Alidhan, je l’ai maintes fois entendu dans des endroits si divers que l’on peut sans aucun doute affirmer qu’il compose l’un des piliers de la musique populaire Alidhanienne.
Rien ne m’avait pourtant préparé à Sa musique.
L’instrument de bois rose avait cette couleur à la fois vive et douce des pétales de camélias à la floraison. Il semblait lisse au toucher et chose étrange il était chaud. Quand je dis chaud, je veux dire qu’il semblait avoir sa propre chaleur. La vue de mon peuple dépasse celle des hommes. Nous voyons ce que leurs yeux peinent même parfois à concevoir. La chaleur comme le froid en font partie. Je peux à loisir distinguer le monde sur ce seul spectre de chaud et de froid. Nous sommes un peuple trop ancien pour que l’on sache encore l’origine de tout cela. Nous ne le savons pas, car c’est pour nous sans intérêt de comprendre ce genre de pourquoi. Trouver une raison à tout est typiquement humain, là où nous acceptons plus facilement le monde en terme de dons ou d’évidence. Encore une preuve s’il en est besoin de notre sauvagerie insouciante. De la chaleur donc naissait de l’instrument. A force d’écouter et de la regarder, je compris que la chaleur changeait avec la musique, j’en déduis par simple écoute de mon cœur, que l’émotion guidait pleinement la musique et donc que de l’émotion naissait cette chaleur latente des humeurs du cœur.
Voir Lüna jouer du violon, ressemble à la fusion de deux nécessités incomplètes, sauf à l'unisson de leurs talents.
J'ai pleuré, rit, maitrisé à grand peine une joie dévorante, lutté avec toutes mes forces contre une colère soudaine et incompréhensible. J'ai aimé, haï, failli mourir de peur, de désir, senti une honte sans égale m'habiter, submerger mes pensées, à l'écoute de la musique de Lüna et de son violon. Elle parle à mon âme, en joue, la tord en tous sens, l'extirpe, l'étreint, la rejète puis la brise, la reconstruit à sa guise et je sombre alors dans la folie...
Ne plus l'entendre ne serait ce qu'un jour ou deux est plus difficile à chaque fois. Je me force avec véhémence à ne plus aller à la rencontre de tels moments, à ne plus écouter de loiçn son long dialogue avec les dieux.
Me laisser aller à ce plaisir, m'abandonner me conduirait peut être à la désirer si fort pour moi seul que je ne pourrais résister au besoin de la conserver pour moi seul, résister à l'envie dévorante de la contraindre.
Et tout comme les animaux que les hommes se plaisent à enfermer, enfermer Lüna à tant est que l'on y parvienne est pire châtiment que la mort elle même.
Je lutte, mais le combat est par trop inégal, je ne tarde pas à céder à nouveau, je suis vaincu enfin, en vain.
Je n'étais plus que l'ombre de moi-même.
Attente, d'un seul mot, on pouvait aisément me décrire. Je passais ma vie à l'attendre, à attendre Sa musique, le bal d'une elfe et de son violon.
Les jours, les nuits n'avaient plus ni goûts, ni saveurs, un tremblement, juste un tremblement entre deux passions abyssales.
Je ne puis dire que je souffrais tant, tout m'apparaissait par le prisme déformant d'une indifférence totale. Dormir, manger, chasser, se battre, rêver de la plage, de la chose noire, manger, dormir, se battre, rêver, mourir même ne seraient parvenu à me distraire de l'attente.
En moi pourtant après des mois, des semaines, des jours, je serais bien en peine de dire quand, un cri a bien finit par retentir.
L'instinct de conservation, une musique soudainement différente...Je l'ignore, mais un soir alors qu'étendu tel un enfant dans le giron de sa mère, j'écoutais l'écho, de l'écho, de l'écho d'un morceau de l'elfe, j'ai compris que je ne pourrais aller plus loin. Une nuit de plus ou deux me verrait mourir, là étendu dans l'illusion de me reposer, mort de l'attendre. Je souris, je n'avais même pas peur de mourir, de mourir bercer par le souvenir de Sa musique.
Mon corps ne l'entendit pas ainsi. Il s'est levé, j'ai regagné Phyléas, cadavre marchant d'un pas lourds au milieu de la foule des ombres indistinctes. J'ai mangé, bu, dormi pour la première fois depuis bien trop longtemps.
A mon réveil, je sus je sus que je devrais l'affronter. Je sus qu'elle seule avait le pouvoir de dissoudre l'illusion qu'elle avait involontairement tissé autour de ma vie.
Je gagnais la forêt, me baignais à l'eau glacé d'un torrent, revêtis de simples vêtements et gagnait la lisière de la forêt, portant d'une main le masque, de l'autre bien plus tremblante Tingwëhalcim mon épée.. Là j'attendis la venue de Sa musique, la musique de Sa vie et de la mienne.