Les retrouvailles

Le bruit que fit le heurtoir contre la massive porte du manoir de la guilde Eowine ne s'était pas dissipé que quelqu'un l'ouvrit aussi hâtivement que le permettait une telle masse, Strange leva la tête et aperçut Indochine, elle était essoufflée, soudain toute la fatigue accumulée lors de ces derniers jours ne fut plus qu'un lointain souvenir, il avança vers elle, elle était figée, le cœur des deux amoureux battait à tout rompre, finalement, après ce moment de flottement ils se ruèrent dans les bras l'un de l'autre, Indochine pleurait de joie, Strange la serrait contre lui, retenant ses propres larmes, il était submergé par le bonheur.

Son bras droit serrait avec vigueur la taille de guêpe de sa belle, tandis que sa main gauche caressait sa tête qui reposait contre son torse, lentement il prit son joli menton entre son pouce et son index et le releva, son regard bleu azur plongea dans celui vert émeraude d'Indochine, il se baissa légèrement vers elle et l'embrassa tendrement, elle lui répondit avec toute la fougue que lui conférait sa jeunesse. Ils étaient désormais réunis et rien ne semblait vouloir les séparer. Les Eowiniens regardèrent, silencieux et heureux de voir qu'en ce monde de violence l'amour avait encore sa place.

Strange croyait pouvoir parler à Indochine avant qu'elle ne s'énerve contre son frère, mais il n'avait pas eu le temps d'ouvrir la bouche que celle-ci avait foncé dans la chambre de Spian. Affaibli, il faillit tomber et se retrouva un genou à terre, une jeune magicienne s'était portée à son secours, ses compagnons suivirent. Strange s'adressa à la jeune femme :

- Il faut dire à Indochine que ce n'est pas la faute de Spian.

La magicienne le rassura, il n'avait pas à s'en faire : elle lui dirait. Ils amenèrent Strange dans le vestibule et le firent asseoir dans un fauteuil. Afin qu'il recouvre quelques forces la jeune magicienne lui donna une potion énergisante. Strange crut reconnaître Karavel qu'il avait rencontré dans le cadre de ses fonctions d'ambassadeur des Indochinois, il la remercia pour toutes ces attentions.

Le pire était à venir : la justification de son acte. Il avait envoyé un ordre télépathique à Spian ce jour-là et lui avait demandé de dire à Indochine qu'il était mort, cette dernière voudrait savoir pourquoi. Il s'apprêta à son arrivée, ses sentiments seraient sûrement un mélange de colère et de tristesse, Strange ne pourrait l'en blâmer. Il buvait calmement sa potion énergisante tout en attendant.

Strange continua à boire sa boisson énergisante à petites gorgées tout en jaugeant son jeune interlocuteur, sa curiosité faisait sourire Strange qui pouvait détecter une lueur d'amusement dans son regard. Il lui répondit, toujours souriant :

- Elle a aussi ravi le mien, et par amour je n'ai pas hésité à pousser Spian à lui mentir pour qu'elle puisse survivre. Il est vrai que je me suis cru aux portes de la mort ce jour-là.

Strange se tut, ayant conscience qu'il se confiait à un inconnu.

- je m'appelle Strange. Et toi mon jeune ami, quel est ton nom ?

Strange posa sa potion énergisante sur une petite table près du fauteuil, il regarda Eryann et la fiole que celui-ci lui tendait. Dans son autre vie il avait été médecin, il n'avait que trop vu des cas de dépendance à des drogues qui etaient seulement sensées soulager les malades.

- Merci Eryann, tu dis que cela s'appelle « Lait du vache céleste » ? D'où provient ce produit ? Je suis curieux de le savoir.

En disant cela le mage avait prit la fiole et goûté une petite gorgée :

- En tout cas tu avais raison, c'est fameux !

Il leva la fiole, comme pour porter un toast et but avec délectation ce produit qui, il le sentait, lui rendait des forces, comme s'il était composé d'énergie pure.

Le regard de Strange se perdit dans le lointain, il donnait l'impression de regarder dans la direction d'Eryann sans voir celui-ci, en fait la question de ce dernier fit affluer les souvenirs dans la mémoire du mage, lorsque la guilde indochinoise était en pleine ascension.

Strange sortit de sa rêverie pour répondre à son interlocuteur :

- C'était peu après que je sois arrivé à Alidhan il y a deux ans et demi, un homme m'a interpellé me demandant si je désirais faire partie d'une guilde, je décidai d'accepter. C'est en arrivant à la forteresse où se trouvaient les membres que j'aperçus pour la première fois la baronne, une jeune femme superbe : Indochine

Le mage s'arrêta de parler, le regard dans le vide, un sourire venait d'apparaître sur son visage. Eryann ne dit rien, l'histoire semblait le passionner. Le mage but une autre petite gorgée de Lait de Vache Céleste avant de continuer :

- Avec le recul, je m'aperçois que c'est au moment même où je l'ai vue que je suis tombé sous son charme, mais nous ne nous sommes déclaré notre amour que plus tard, nous avions respectivement des souvenirs douloureux qui nous hantaient, celui de ma femme morte dans un accident dont j'étais responsable, quant à elle c'était celui de son premier amour abattu par des ennnemis.

Le sourire du mage se figea, même si Hélène lui avait pardonné il n'en restait pas moins coupable à ses propres yeux, et il devrait vivre avec cela le restant de ses jours. Il reprit enfin son récit :

- Ce n'est qu'après la bataille de Brosems que nous sommes devenus intimes.

Il s'arrêta, attendant les commentaires d'Eryann, il avait parlé plus qu'il n'aurait cru le faire au départ.

Strange fut surpris par Eryann, le jeune homme était très direct. Le mage se remit de son étonnement et répondit à l'archer qui lui faisait face, attendant sa réponse :

- Ainsi que le dirait un de mes amis, la réponse se trouve dans la question.

Le mage sourit, Eryann ne se contenterait pas d'une réponse aussi courte, il continua donc :

- Imagine la situation, notre campement venait d'être attaqué par des royalistes, son emplacement ayant été indiqué à nos ennemis par un renégat, traître à la cause cartelloise. Nous étions en train de fuir : Indochine, Spian et moi, seuls rescapés du premier assaut, et ce grâce à Spian, j'ignore quelle était la raison qui l'a poussé à sortir, mais il a très vite réagi dès qu'il a vu ceux qui s'apprêtaient à nous assassiner dans notre sommeil.
Ainsi comme je le disais nous étions trois survivants, jusqu'à ce que je sois abattu par une flèche, elle s'était fichée dans mon dos et semblait enduite d'une substance paralysante car je ne pouvais plus bouger.
Même si j'avais l'air mort Indochine ne voulait pas me quitter, alors pour la protéger j'ai lancé un appel télépathique à Spian, lui demandant de fuir avec sa sœur en lui faisant croire que j'étais décédé. D'ailleurs j'ai bien failli y passer, tout ce dont je me rappelle c'est d'avoir lancé un autre appel télépathique à Abby, magicienne indochinoise en visite chez les Vindicatrices, sa sœur ayant intégré cette guilde par le passé. Après avoir produit ce dernier effort je me suis évanoui, je me suis réveillé chez les Vindicatrices, Abby avait réussi à me téléporter là-bas.
Donc oui, j'ai voulu qu'Indochine survive, je l'ai fait par amour, car elle est tout ce que j'ai de plus cher au monde. Maintenant tout ce que j'espère c'est qu'elle me pardonnera ce mensonge.

Le mage se tut, il avait assez monologué, il se demanda soudain ce que devenait sa bien-aimée, sa visite à son frère semblait s'éterniser, mais peut-être son appréciation du temps était-elle faussée par son désir de la voir revenir.

Hedwig, la jeune chatte noire de Strange émit un miaulement, le mage la regarda, elle était en train de s'éloigner vers les escaliers, ce qui voulait sûrement dire qu'elle avait repéré l'endroit où était Indochine, Strange lui envia ses sens aiguisés de félin. Il se leva de son fauteuil, il était maintenant remis.

Strange monta les escaliers, suivant Hedwig, elle semblait savoir où elle allait, elle s'arrêta devant une porte et poussa un miaulement :

- J'ai compris, je vais frapper à la porte

Strange s'exécuta et attendit qu'on lui réponde.

Strange était en train d'attendre devant la porte lorsqu'il perçut une certaine agitation chez Hedwig, l'approche silencieuse d'Eryann, même si elle avait échappé au mage, n'avait point trompé les sens de félin de la jeune chatte, laquelle fixait l'endroit où se trouvait le jeune homme.

Strange se remit à frapper à la porte, Spian lui ouvrit, tout sourire.

- Strange ! ça fait plaisir de te revoir, et surtout en vie, j'ai bien cru que cette fois-ci tu allais passer de vie à trépas pour de bon.

Strange avoua à son ami que cette heureuse fin l'avait surpris tout autant que lui, puis il lui demanda où était Indochine.

- Elle est allée à la taverne, croyant sans doute t'y trouver.

Le mage avoua à Spian qu'à son arrivée il était bien trop épuisé pour aller jusque là, puis il le remercia pour l'indication.
Ainsi, Hedwig avait suivi la piste, mais celle-ci n'était pas la plus récente, il la regarda, elle fixait un coin sombre, le mage suivit son regard, Eryann était là, Strange sourit, ce jeune homme était bien curieux. Il décida d'aller à la taverne retrouver sa dulcinée.

Le manoir des Eowiniens était immense, on s'y perdait facilement, la légende racontait même que certains anciens habitants erraient toujours à la recherche de la sortie. Le mage sourit à l'évocation de cette légende, il ne serait pas victime de ce dédale de couloirs car il avait en Hedwig un guide parfait.

Flash-Back

A l'évocation de la jeune chatte Strange se remémora leur première rencontre, il venait de rencontrer les Indochinois et avait été accepté d'emblée dans la guilde. Lorsque Strange repensa à la guilde Indochinoise il lui sembla que plusieurs décennies s'étaient écoulées, cette impression étant due au grand nombre de batailles qu'ils avaient mené côte-à-côte. Cela se passait à Mérulik, il y avait une bataille rangée entre les cartellois, les exilés et les royalistes dont l'enjeu étai la forteresse de Ceth, les morts s'accumulaient, lorsque, soudain, la bataille perdit de son intensité, puis il n'y eut plus que le silence et quelques survivants, les vêtements de Strange étaient de vraies loques, le mage se tourna vers ses compagnons : ils n'étaient pas en meilleure forme. Il regarda Indochine : ils pensaient la même chose.

- On se replie dans la forteresse et on panse nos blessures, ce n'est qu'une accalmie !

A peine étaient-ils entrés dans Ceth que celle-ci fut attaquée par une coalition exilés/royalistes, laquelle semblait, de prime abord, contre nature, mais à bien y réfléchir le désir de créer une démocratie là où régnait depuis toujours une monarchie faisait du Commandeur Zélandra l'ennemi à abattre. Ils furent vite submergés, les mages firent tout ce qu'ils purent pour ralentir la progression des ennemis, les archers ne furent pas en reste avec leurs pièges.


   
     - Fermez les yeux !, cria Strange.
Il lança un sort qui aveugla les ennemis, cela leur permit d'ouvrir un passage secret qui les emmènerait dehors. Ils disparurent sans que les ennemis ne comprennent comment.
   
 

 Ils se retrouvèrent dans la plaine de Ceth, non loin d'une forêt, les ennemis étaient regroupés devant la forteresse, ils foncèrent vers la forêt si silencieusement qu'ils ne se firent pas  remarquer. A l'orée de la forêt, Strange entendit un miaulement, il tourna la tête et vit le cadavre d'un exilé, dessous se trouvait un chaton, son pelage était tout noir, il était minuscule :


 
   - Il doit avoir environ un mois, pensa Strange, il souleva l'exilé et dégagea la petite chatte.
   
 
 
 Le mage la prit et la mit dans sa poche, seule sa tête dépassait. Ensuite il rattrapa les autres et se mit à couvert.

   
     - Je t'appellerai Hedwig, comme la chouette de Harry Potter.
   - Miaou !!!
   
 Le miaulement fit faire volte-face à Indochine.

     - Tu t'es trouvé une compagne Strange ?, lui demanda-t-elle en souriant.
   
 Le mage opina du chef et révéla à sa baronne le nom qu'il avait donné la jeune chatte.

     - C'est vraiment mignon, mais viens, mettons-nous un peu plus à couvert avec les autres, ici on risque de se faire repérer.
   
     - Tu as raison Indochine, admit le mage, et ils coururent se mettre à l'abri avec leurs amis.
   
   
     - Indochinois, nous retournons à notre campement de la Guideularoût, vous êtes les bienvenus si vous désirez venir.
   
C'était Pifou qui venait de parler, cet archer était le baron de sa guilde, comme Indochine était baronne de la sienne. L'invitation était tentante, d'autant plus que maintenant que la forteresse de Ceth était aux mains des ennemis l'endroit n'était plus sûr du tout, les indochinois n'avait plus de foyer.

Strange avisa Indochine couverte de poussière, son bras saignait, une flèche ennemie était la cause de cette blessure.  Serrant les dents, la jeune baronne arracha le corps étranger, ce qui fit saigner son bras abondamment, le mage se précipita, arracha un morceau de sa tunique et en fit un pansement.

- Ce n'est pas vraiment l'idéal question hygiène, mais en attendant les soins d'un moine c'est tout ce que je peux proposer

  C'est à ce moment que Hedwig bondit de la poche de Strange, elle miaula, se frotta contre les jambes de Strange, s'éloigna pour revenir, ce va-et-vient incessant ne pouvait qu'une seule chose : elle voulait qu'on la suive.

     - Je te remercie de ta proposition Pifou, mais mon intuition me dit que cette jeune chatte va nous guider vers notre destinée, dit Indochine.

     - Je te comprends, si tu changes d'avis tu sais où nous trouver.

 Abby, la jeune sœur de Jenny était portée manquante, la jeune archère voulut retourner dans la forteresse, mais Indochine l'en dissuada, cela équivalait à un suicide. La jeune magicienne se trouvait dans un autre groupe lors de la bataille, mais celle-ci avait été tellement violente que ses compagnons l'avaient perdue de vue.

     - Si elle a survécu elle nous reviendra, ne t'en fais pas Jenny, elle a un instinct de survie hors du commun.

 Indochine essayait de consoler Jenny de son mieux, cette dernière était effondrée, elle se sentait coupable de la perte de sa petite sœur.

     - Tu as raison, allons voir ce que veut nous montrer la chatte de Strange.

 Ils saluèrent Pifou et ses chevaliers et s'enfoncèrent dans la forêt, la jeune chatte noire à leur tête. A bien y repenser cette formation avait quelque chose de cocasse, avec un éclaireur tellement petit qu'il fallait bien regarder où on mettait les pieds pour ne pas marcher dessus.

Fin du Flash-Back

Le mage entendit un miaulement qui le sortit de sa rêverie, Hedwig lui signifiait qu'ils étaient arrivés à la taverne, ce qui ramena Strange au moment présent, Il entra et scruta les alentours, il aperçut rapidement  Indochine, elle-même semblait le chercher, leurs regards se croisèrent. Pendant un instant ils restèrent de marbre, enfin ils commencèrent à avancer entre les tables, faisant fi des regards des consommateurs qui les observaient, ils se rejoignirent au beau milieu du pub, se jetèrent dans les bras l'un de l'autre.  L'émotion de cet instant était tellement intense qu'elle en était presque palpable.